Amélie Adamo, Critique d’art, Événement de la Nuit : Hommage à KIM Tschang-Yeul , Catalogue de l’exposition, 24Beaubourg, pp. 78-79, Paris, 2022
Née et ayant grandi en Corée du Sud, vivant et travaillant en France, c’est l’hybridité qui caractérise la démarche de Eun Young LEE-PARK. Peintures, performances, vidéos : protéiformes, ses recherches artistiques sont liées à son expérience de l’Asie et de l’Europe. Deux cultures dont l’œuvre interroge les possibles jonctions. Pour cette artiste, l’art et la vie sont viscéralement imbriqués. Eun Young LEE-PARK est née dans une famille d’artistes, sa mère étant écrivaine et ses deux sœurs pianistes. L’écriture et la musique tiennent évidemment une place fondamentale dans la vie et l’œuvre de cette artiste qui dit chercher à peindre « quelque chose sans fin ». Une quête qui s’est nourrie, sans aucun doute, de l’héritage d’une famille bouddhiste. L’infini, le vide, l’absolue Nature : autant d’éléments fondateurs du Bouddhisme qui ressurgissent dans la pratique d’Eun Young LEE-PARK. Influencée tant par Yves Klein que par le dessin automatique, l’artiste interroge aussi l’empreinte, la trace. Sans se soucier des notions de « figuration » ou « d’abstraction », Eun Young LEE-PARK entend recueillir la trace de ses sensations, les vibrations de son corps. Sa peinture est ainsi volontiers matiériste et d’aspect surréel. Faite avec de la terre et de l’eau, elle est mouvements de matière. Frottage. Caresse. Plaisirs du toucher, des odeurs. Acte inconscient, sans intention préétablie. De ces jeux de matière naissent des formes, des analogies avec le réel, la nature, le corps. Peut-être des paysages, des présences, des flux, des béances. Quelque chose de vivant. De l’ombre et de la lumière. Qui fleurit, qui rêve. Sans bordures. Sans fin.
Danielle Cohen, Historienne d’Art, La nature reprend ses droits, Catalogue de l’exposition, Fondation Villa Seurat pour l’Art contemporain, 2020
PDF: La Nature reprend ses droits
Turbulences Vidéo, revue trimestrielle 100 – Juillet, p. 25-27, 2018
Pascale Weber, « Corps encore »
Le désir est aussi ce qui construit notre individualité. Chaque corps a sa façon propre de vibrer. C’est précisément ce que cherche à toucher la performance participative Cris-souffles orchestrée par Eun Young Leepark : des chanteurs traditionnels Coréens de Pansori se mêlent aux spectateurs pour les inviter à élaborer leur chant. Chaque corps possède un chant unique, qui déborde de lui, sourd à la bien-pensance qui voudrait que nous soyons tous identiques, avec les mêmes aspirations, les mêmes désirs, les mêmes physiologies… Le public de cette performance fait face à la projection d’un paysage alpin faute de pouvoir réellement atteindre le sommet d’une montagne et saisir le lien entre la force du chant et le mouvement du regard aspiré par le ciel : La beauté est un mirage existentiel, dit Reed013.
Mais qu’avons-nous d’autre que ce mirage pour nous soustraire à la terreur idéologique ? Depuis son avènement l’entreprise capitaliste travaille avec acharnement à neutraliser le corps, à le rendre à la fois insensible à la douleur et aux malheurs de ses congénères et à le rendre aveugle à la beauté, au pouvoir d’éblouissement de ce mirage capable d’ensauvager les plus farouches. Car le corps est ce qui s’expose, en refusant aussi longtemps que possible de se laisser assujettir, ce qui en nous se risque, avec toute la brutalité du vivant, à comprendre et à renouveler le désir. Il se joue une guerre sans merci entre le corps de l’imaginaire amoureux (qui tente de se réaliser en exacerbant sa chair, ses passions, en reconnaissant ses pulsions les plus terrifiantes, les moins contrôlables) et les « bâtisseurs » de l’ordre commun, ces idéologues qui fustigent l’individualité pour imposer une conformation des personnes aux rôles dans lesquels on souhaite les enfermer. Et le corps de résister autant qu’il le peut à toute cette violence, violence de l’argent, du chiffrage, de la mesure et des données qui se sont imposées aux dépens du sensible.
Papotart, Discorde, Le 100 ecs, 2017
Kim Chi Neutral, (recette contre la peur)
L’artiste sud-coréenne propose dans cette performance la recette d’un Kim Chi, un plat traditionnel de la du Corée Nord et Sud. Mais dans les ingrédients choisis entre « 150 à 200g des articles journalistiques en papier cru », « les articles barbares qui vous font trembler ou qui vous font jubiler » ou encore « 1 photo de boom nucléaire ». Car il s’agit en réalité d’une « recette culinaire contre la peur », pour laquelle seront déchirées, frappées et cuites des images médiatiques. L’origine de l’artiste prend ici une importance cruciale car elle renvoie à l’utilisation des images à des fins de propagande et de conflit tacite entre les deux pays frontaliers. Ces images incitant à la peur, ou les articles renvoyant plus largement aux conflits mondiaux sont alors cuisinés, du cru vers le cuit, comme une première étape de digestion de ces violences, au cours d’une performance aux gestes exutoires.
TK-21 N°55-Février, 2016
Hervé Hubert, L’agalma de « Terreur jubilatoire »
Terreur jubilatoire !
Comment une artiste de langue coréenne a eu ce génie de trouver cette expression extraordinaire en langue française de « terreur jubilatoire »?
Dans les textes qui ornent la vidéo qui porte ce titre, Eun Young Lee Park nous livre quelques bribes de son secret. Et cela intéresse un psychanalyste au plus au point puisque dans ces secrets en partie dévoilés, il est parlé de son enfance, de ses souvenirs de petite fille.
Freud a insisté sur ce point : l’oeuvre d’art peut être lue à partir des souvenirs d’enfance, et l’exemple de son étude sur Léonard de Vinci est enseignant jusque dans ses erreurs. Cette référence à Freud n’est pas éloignée de ce qui est mis en scène dans « Terreur jubilatoire » : l’inventeur de la psychanalyse dit avoir éprouvé de la terreur, enfant, devant la sculpture de Michel Ange représentant Moïse. C’est peut-être le destin de cette terreur qui lui fait écrire que les oeuvres d’art,et notamment les sculptures, produisent sur lui un effet puissant. Il s’en est suivi pour Freud un travail d’écriture, d’interprétation ; un décryptage à la Champollion, un passage par les signifiants et leurs traces écrites face aux hiéroglyphes des oeuvres d’art.
Quels sont les souvenirs évoqués par Eun Young enfant ? Ils sont au nombre de deux et de registres différents : un souvenir qui concerne l’agonie et la mort de son grand-père d’une part, les images de l’explosion d’Hiroshima d’autre part. L’agonie du grand-père marque pour elle l’arrivée de cette terreur : l’indicible de la souffrance de ce grand-père qui va mourir, d’une terre qui devient présente tragiquement et le glissement qui se produit vers une élévation, celle du chant de bonzesses qui psalmodient, et il se produit une opération magique dans un rapport à l’allégresse et ce vécu émotionnel paradoxal qui lie ce jubilatoire à la terreur de voir disparaître dans la mort, un être aimé.
L’explosion d’Hiroshima est quant à elle une image terrible, qui fascine par l’expression d’une force puissante qui confine à la beauté et se conjugue à l’horreur de la destruction d’humains par d’autres humains. Ces images utilisées par les puissances politiques viendront de façon répétitive marquer une menace, celle de la guerre nucléaire avec les frères coréens du Nord. Menace répétée de ce qui conjugue le beau, l’esthétique, la douleur et le tragique.
Ce qui frappe dans la narration de ces souvenirs est bien sûr la puissance de l’image, de l’imaginaire en tant qu’il porte de façon contradictoire la force de la vie.
Derrière une image, il y a un œil et c’est bien cet organe pulsatile qui captive dans la « terreur jubilatoire ». Organe pulsatile… Lacan qualifie l’oeil, d’organe toujours double dans son Séminaire « l’angoisse » en 1963. Je le qualifie de pulsatile en référence à la médecine. Pulsatile qualifie en effet un type de douleur qui se produit par pulsations, et ce terme de pulsations renvoie par son étymologie à « action de frapper, heurt, choc ». Lorsque le regard se rend captif dans le travail filmé d’ Eun Young Lee, il se noue à une oreille, à des sons. L’image de l’oeil ainsi produite fascine et le mouvement de cette image copule avec des sonorités qui transmettent à la fois des lamentations chantées et des transmissions de coups métalliques. La pulsion artistique est à l’œuvre. Ce qui a été vécu dans l’enfance a été transformé et le destin pulsionnel du heurt a eu la possibilité active de passer à la satisfaction de l’exigence du sublime.
Le dit de Lacan dans son Séminaire « Le Sinthome » le 18 novembre 1975 trouve alors tout son déploiement : « Les pulsions, c’est l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire, mais que ce dire, pour qu’il résonne, pour qu’il consonne (…) il faut que le corps y soit sensible. c’est parce que le corps a quelques orifices dont le plus important, parce qu’il ne peut se boucher, se clore, est l’oreille, que répond dans le corps ce que j’ai appelé la voix. L’embarrassement est assurément qu’il n’y a pas que l’oreille, le regard lui fait une concurrence éminente »…
PDF: terreur jubilatoire
Catalogue de l’exposition, Traces de Larmes, L’École d’Art de Douai, Javier-mars 2016
Corridor Elephant N°14 – Novembre 2014
Les fantomes parlent aux vivants
©Axel Léotard pour Corridor Éléphant. 2013
Hervé Hubert, Psychiatre, Psychanalyste, Praticien Hospitalier, Chef de Service
(Bref)
Le témoignage d’une autre artiste coréenne qui vit en France, Eun Young Lee Park, nous éclaire également. Artiste plasticienne, fascinée par le monde invisible, sa démarche artistique trouve son fondement dans le traumatisme qu’a subi la société médiatique. Reprenant les mots du philosophe Jean Baudrillard, « Dieu n’est pas mort, il est devenu hyper réalité » elle indique que l’hyper réalité divine des images interagit entre l’illusion et le réel. Elle dépend de la valeur-signe de la consommation dans la communication virtuelle qui nous trace une impression psychique.
Eun Young Lee Park nous donne ici même la description lumineuse du fantôme moderne qui se noue à la propagande médiatique et politique.
Elle nous donne la clef qui concerne la jouissance de l’œil : « Notre œil est une instance sensorielle de rencontre de l’un et de l’autre tel un lieu de jonction entre le corps et l’esprit, l’intérieur et l’extérieur, qui m’évoque une construction mystérieuse ».
La perception visuelle de l’image politique de l’explosion de la bombe nucléaire à Hiroshima l’a conduit à cette réflexion qui concerne le passage d’un état à un autre état simultanément : l’ubiquité, parce que ces images lui laissent pénétrer son état de douleur, cet état qui croise l’horreur et la terreur avec la jubilation de la beauté de la forme de l’explosion. Cet état se laisse venir, ce qui correspond donc, dans un registre artistique différent et avec une autre finalité, à la démarche entreprise par Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre concernant la douleur du deuil et le laisser venir le fantôme.
Ce dernier, Eun Young Lee Park l’évoque de façon très poétique et créatrice dans la genèse de ce qui la marque et qu’elle identifie du terme de « Terreur jubilatoire » Elle évoque le souvenir qui a fait naître chez elle, ce terme si lumineux et créatif pour les artistes, les philosophes, les psychanalystes de terreur jubilatoire. Enfant, elle a vu son grand-père en train de mourir de vieillesse et la mélodie d’invocation bouddhiste commandée pour la circonstance par sa grand-mère a alors résonné mystérieusement : elle a assisté à la mort de son grand-père dans une ambiance vraiment étrange pour elle « C’était une terreur jubilatoire ».
Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre ont le projet d’explorer dans leur création théâtrale la situation de porosité entre les morts et les vivants, leur réunion dans des interstices – les espaces moins éclairés des songes, des rêveries.
Pour Eun Young Lee Park les images de la bombe nucléaire lui laissent pénétrer son souvenir de la douleur et cette expérience lui permet de sentir spontanément quelque chose de l’interstitiel qui la dirige ailleurs.
Cet interstitiel ainsi défini et qui produit une ouvre sublime chez l’artiste plasticienne coréenne, est donc le lieu de la création artistique qui ne se laisse pas enfermer dans un schéma préétabli comme dans « Un jour » Cela concerne le lieu précis de la disparition, du fading, de l’aphanisis et du souvenir de la douleur ainsi subverti et porté à l’Aufhebung.
PDF : Les fantomes parlent aux vivants
Pascale Rompteau, Les iconoclasses XIV 11-12,
Catalogue de l’exposition, Galerie Duchamp, Juillet 2012, Yvetot.
Dans un paysage sociétal hypercodifié, surmédiatisé, Eun Young Lee aspire
à une simplification réconciliatrice des clivages, à une mise en relief,
une ré-émergence d’éléments fédérateurs, qu’elle insuffle dans ses films.
Jean-Louis Vincendeau, Jubilations cartographiques autour de Dubocage, Catalogue de l’exposition de l’Hôtel du Dubocage, Mars 2011, Le Havre.
La thématique des yeux a retenu toute son attention en lien avec la lumière et la disparition :
par quel détour Eun Young est-elle passée de la thématique des voyages de Dubocage
à la mort de son grand père et aux nones bouddhistes qui agitaient en rythme,
(un curieux rythme entêtant), des cloches de bois pour accompagner le spectre ?
Quelque chose comme la sortie de l’âme de ce corps, le basculement, l’envol
sous les meilleurs auspices. Et encore quelle voie s’est-elle frayée pour arriver
à fabriquer de faux yeux en terre vernissée en grande quantité
puis filmer ses propres pupilles. Un composé d’Hamlet sud-coréen mâtiné
de la lecture de Georges Bataille ? Odilon Redon n’est pas loin non plus
avec de grands yeux uniques dans ses gravures et ses peintures.
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